Sur un
portrait du Dante
C'est bien lui, ce visage au sourire inconnu,
Ce front noirci du hâle infernal de l'abîme,
Cet œil où nage encor la vision sublime :
Le Dante incomparable et l'Homme méconnu.
Ton âme herculéenne, on s'en est souvenu,
Loin des fourbes jaloux du sort de leur victime,
Sur les monts éternels où tu touchas la cime
A dû trouver la paix, ô Poète ingénu.
Sublime Alighieri, gardien des cimetières !
Le blason glorieux de tes œuvres altières,
Au mur des Temps flamboie ineffaçable et fier.
Et tu vivras, ô Dante, autant que Dieu lui-même,
Car les Cieux ont appris aussi bien que l'Enfer
À balbutier les chants de ton divin Poème.
Emile NELLIGAN
(1879-1941)
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Sur
un goret de Nantes
C'est
bien lui, rondouillard et rosé au corps nu,
Un
groin de jeune porc qui se rit des régimes
Et
bon pied, et bon œil,
pas du tout cacochyme.
Un vrai
goret nantais grassouillet et charnu.
Mais
un boucher du coin sur un air convenu
Le
prit dans ses filets, il en fit sa victime,
Le
coupa en morceaux - ce n'était pas un crime -
En
dressa des pâtés pour les mettre au menu.
Terrine
merveilleuse et croustade fermière !
Oublions
le passé, orge et blé, la litière,
Honneur
à l'andouillette et la côte première !
Et
tu vivras, nantais, autant que Dieu lui-même,
Car
les Cieux ont appris aussi bien que l'Enfer
Qu'un
chant de porcin mort vaut tous les requiem.
Polernaz
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