Veillée d'avril
Il doit être minuit. Minuit moins cinq. On dort.
Chacun cueille sa fleur au vert jardin des rêves,
Et moi, las de subir mes vieux remords sans trêves,
Je tords mon cœur pour qu'il s'égoutte en rimes d'or.
Et voilà qu'à songer me revient un accord,
Un air bête d'antan, et sans bruit tu te lèves
Ô menuet, toujours plus gai, des heures brèves
Où j'étais simple et pur, et doux, croyant encor.
Et j'ai posé ma plume. Et je fouille ma vie
D'innocence et d'amour pour jamais défleurie,
Et je reste longtemps, sur ma page accoudé,
Perdu dans le pourquoi des choses de la terre,
Ecoutant vaguement dans la nuit solitaire
Le roulement impur d'un vieux fiacre attardé.
Jules LAFORGUE
(1860-1887)
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Né
en avril
Je crois qu'il est au lit depuis une heure. Il dort.
Souvent très agité, dérangé dans son rêve.
Lui revient sûrement l'histoire d'une fève,
Qu'il mit discrètement dans le mets d'Isidore.
Gâteau d'anniversaire aux multiples accords
De sucre et de douceurs, accommodé par Eve
Qui d'un geste amoureux et délicat prélève
Une seconde part que lui réclame encore
Isidore transi, il en avait envie!
Mais la fève ajoutée par son ami Henri,
Lui ronge l'estomac, il est incommodé,
Produit indéfini au teint couleur de terre,
Cadeau empoisonné qu'Henri le solitaire
Avait mis pour blaguer… l'ami est décédé.
Polernaz
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