Des
difficultés pour aller de Nanoed à Redon ou des raisons
- on ne peut plus éloquentes -
invoquées et excuses - pertinentes - imaginées par le neveu dans
sa carte de vœux du nouvel an 2014
à sa tante à laquelle il ne fit aucune visite au
cours de l'année précédente... 2013.
Très
chère tante,
2014
est déjà là, l'année 2013 ne m'aura malheureusement pas
donné la possibilité de te rendre visite. Comme
j'aurais aimé aller jusque chez toi ! Mais les circonstances
et surtout les multiples événements qui ont marqué les
365 jours précédents - sans doute en auras-tu entendu
quelques échos en écoutant le héraut crier les nouvelles
place de l'hôtel de ville à Redon si cette tradition
perdure encore - ont contrecarré tous mes
projets successifs de sortie vers la cité du briquet
Flaminaire.
En janvier,
comme tu dois t'en souvenir, la Vilaine
est sortie de son lit, les responsables locaux sous l'ordre de Nominoë (c'est
bien lui qui dirige encore votre cité?) ordonnèrent la construction de profondes douves pour éviter les inondations
en ville, mais
ceux-ci par manque de jugeote semble-t-il, ne prévirent aucun accès depuis
l'extérieur, du coup
impossible de passer durant tout le mois. Cela ressembla étonnamment à
un blocus interne!
En février,
ça tu le sais aussi chère tantine, la Bretagne
instituait un blocus contre toutes les régions limitrophes en réponse au diktat
parisien d'imposer l'exportation de crêpes en provenance d'Armorique.
Pour
ne rien arranger, en mars un décret de
Napoléon interdisait tout contact avec les populations favorables - je sais
que tu fais partie de celles-ci et je t'en félicite - aux chouans;
ses sbires barrèrent toutes les voies praticables.
Tempêtes de neige et froid
inhabituels virent passer avril sans âmes qui vivent sur les routes tant au
sud qu'au nord de la Vilaine. On parla de congères de
plus de trois mètres dans tout le canton et au-delà.
En mai Nominoë institue un
passeport obligatoire pour toute personne en provenance de Neustrie, comme par
hasard Naoned est concernée. Les démarches et les tracasseries administratives
dissuadèrent rapidement toute personne ayant formé le projet de s'introduire en
pays redonnais. Je fus de ceux-là.
En juin les vikings
débarquent avec leur drakkars et mettent toute la région à feu et à sang : comment
as-tu fait pour survivre d'ailleurs, tantounette adorée ? La
prudence commande de ne pas s'aventurer dans le secteur.
Juillet doit supporter les
premières précipitations massives de touristes et autres envahisseurs au profil
inquiétant vers le nouvel eldorado breton supposé :
le bruit avait couru de la découverte de pépites d'or
dans le lit de plusieurs fleuves côtiers de la péninsule;
de monstrueux embouteillages ne permettent plus aux autochtones une libre
circulation : il vaut mieux rester chez soi.
Août découvre, suite à des
températures caniculaires, la fragilité de l'écosystème que représente ce pays
de landes transformé sous une chaleur infernale en étoupe prompt à allumer
d'effroyables incendies. Tout le sud de la Bretagne est en feu, tu t'en souviens tantoune
? Donc interdit à toute personne étrangère. Heureusement
Redon fut épargné, mais il en reste des séquelles bien
visibles et les abords de la ville encore peu sûrs.
De nouveaux départs d'incendie sont toujours à
craindre.
Pour ajouter le malheur au
malheur septembre a été le théâtre d'ouragans successifs et de pluies
diluviennes, la plupart des voies noyées et coupées d'arbres interdisaient tous
déplacements. J'ai ouï-dire que nombre de caves et sous-sols furent inondés,
chez toi aussi peut-être?
En octobre une épidémie de
peste bubonique sévit sur tout le secteur de l'arc atlantique, de mauvaises
langues accusent les sarrasins. Les autorités
sanitaires commandèrent le strict nécessaire dans les déplacements. J'imaginais difficilement
enfreindre les consignes; peut-être eussè-je été responsable
de ton décès en introduisant dan ta chaumière le terrible
virus !
En novembre,
je ne sais si l'information t'est parvenue, l'immonde
Carrier prend les pleins pouvoirs, c'est le règne de la terreur. Tous les
habitants de Naoned et de sa région se terrent dans les caves et ne sortent que
la nuit pour trouver de quoi survivre. Bon, je m'en suis plutôt bien sorti, sinon tu ne
recevrais pas cette missive.
En décembre, plein de
bonnes résolutions, je décide une expédition rue Saint Michel dans ton fief. Pour des
raisons sur le moment inexplicables, je me retrouve deux heures et quinze jours
plus tard en pleine cambrousse africaine, à moins que ce ne soit dans les
steppes de l'Asie centrale vu que je n'ai pas pris le bateau et que les
températures ressenties sont plus proches du froid sibérien que du climat
tropical. Après mûres réflexions qui me laissent d'abord perplexe puis dans
l'expectative et enfin pantois, je me rends compte en consultant mon tableau de bord que ma
boussole est devenue complètement folle, elle indique le nord comme une
girouette sous l'influence et les imprévues de vents contraires et
contradictoires. J'ai compris subitement pourquoi je mettais autant de temps
pour arriver à destination, car comme le dit l'histoire,
s'il n'y a pas plus loin de Coutufon à Foncoutu que
Foncoutu à Coutufon la distance de Naoned à Redon n'est
pas du tout, mais pas du tout la même de Naoned à Redon
que de Naoned à Vladivostok.
Si tous les chemins mènent à Rome
en reste-t-il seulement un qui soit viable pour Redon ?
Je suis en droit de
me poser la question.
Tu
vois ma chère tantinounette comment aussi bien les éléments
météorologiques imprévisibles que certaines pandémies
microbiologiques ou que les conséquences néfastes des
antagonismes nationaux ou régionaux ont compromis toutes
mes sincères tentatives pour te rendre visite. Fasse
le ciel que cette nouvelle année me donne l'occasion
de palier ce manque d'effusions familiales si nécessaire
et indispensables entre personnes de notre qualité.
Je forme déjà le projet d'une prochaine tentative.
En
attendant de te serrer dans mes bras, ma chère tantouninette,
je t'embrasse très fort et te souhaites les mille bonheurs
que tu es en droit d'attendre pour les 365 jours à venir
celui de nous voir figurant en tête de liste bien entendu.
P.S.
Je viens d'entendre sur les ondes de mon poste à galène
une terrible nouvelle : les Vandales sont à nos portes.
De nombreuses cohortes sanguinaires s'installent actuellement
de Savenay à Châteaubriant, ils élèvent des barricades,
mettent actuellement en place des champs de mines et
des obstacles antichars. De nombreuses catapultes jalonnent
les soixante-trois kilomètres qui séparent ces deux
villes. Aux dernières nouvelles le bruit court que les
eaux du Don et de l'Erdre ont été contaminées par des
doses massives de cyanure, tous les poissons de ces
deux cours flottent le ventre à l'air. Aucun
point d'eau n'est plus sûr.
On
croit savoir que cette foule, pourtant externe à nos
régions, augmentée d'éléments incontrôlables venus d'horizons
divers, plutôt oisifs mais sans scrupules aussi bien
envers la faune et la flore (contrairement à leur dire)
que la population autochtone, va s'installer durablement
dans le secteur pour s'opposer à l'édification du plus
grand camp romain jamais construit.
On
dit que César, l'empereur de Rome, étudie en ce moment
même une nouvelle stratégie pour déloger ces empêcheurs
de tourner en rond. Mais je sais bien que la lutte sera
longue et je doute déjà du succès de ma tentative personnelle
pour arriver à bon port. Une nouvelle guerre de tranchée
semble poindre de la Brière à la forêt du Gâvre jusqu'aux
portes du Maine-et-Loire.
Adieu
tantanounette chérie, je descends de suite à la cave
mettre mon masque à gaz.
Petit
Pol
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